Corticoïdes et morsures de serpent : une erreur médicale encore trop fréquente
Article par Damien Lecouvey, herpétologue et consultant en sécurité terrain et consultant Medical international sur les envenimations
Introduction
La morsure de serpent en contexte tropical ou isolé suscite souvent des décisions médicales d’urgence. Parmi elles, une erreur persiste : l’administration de corticoïdes en première intention. Bien que souvent motivée par une bonne intention, cette pratique va à l’encontre des recommandations scientifiques actuelles. Cet article vise à clarifier les effets réels des corticoïdes, pourquoi leur usage est déconseillé, et quelles alternatives existent en situation de survie ou d’intervention médicale.
1. Pourquoi utilise-t-on encore des corticoïdes ?
L’usage des corticostéroïdes comme la dexaméthasone ou la prednisone dans les suites d’une morsure de serpent repose sur des idées reçues. Certains soignants espèrent ainsi limiter l’œdème, ralentir la diffusion du venin, ou prévenir un choc anaphylactique potentiel.
Ces pratiques sont issues d’approches anciennes, mais aujourd’hui reconnues comme non fondées dans la gestion d’une envenimation. L’OMS ainsi que de nombreuses études récentes déconseillent leur emploi systématique.
2. Ce que disent les recommandations officielles
Les lignes directrices de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sont claires : les corticostéroïdes ne doivent pas être utilisés de manière routinière dans les cas de morsure de serpent.
« Corticosteroids are not recommended for the routine management of snakebite envenoming. »
– WHO Guidelines for the Management of Snakebites, 2nd edition (2016)
Les travaux de Warrell (2010), Chippaux (2017) et d’autres revues cliniques vont dans le même sens : aucun bénéfice significatif n’est observé, et des effets indésirables peuvent survenir.
3. Quels sont les risques liés à cette erreur ?
L’usage inapproprié des corticoïdes dans le contexte d’une envenimation par morsure de serpent présente plusieurs risques :
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Retard dans l’administration d’un antivenin spécifique
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Masquage de l’évolution clinique (notamment œdème, douleur, nécrose)
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Complications métaboliques (hyperglycémie, rétention hydrosodée, immunosuppression)
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Augmentation du risque d’infection locale ou généralisée
4. Que faire en cas de morsure de serpent ?
La conduite à tenir varie selon le type de venin (cytotoxique, neurotoxique, hémotoxique), mais quelques principes universels s’appliquent :
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Immobilisation du membre atteint
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Surveillance médicale continue
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Transport rapide vers un centre hospitalier avec accès au sérum antivenimeux adapté
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Soutien symptomatique en fonction de l’évolution
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Jamais de garrot, d’incision ni d’aspiration
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Pas de corticoïdes en routine
5. En contexte d’expédition : un problème encore fréquent
Sur le terrain, notamment dans les zones tropicales d’Afrique, d’Amérique du Sud ou d’Asie du Sud-Est, il n’est pas rare de constater l’administration immédiate de corticoïdes dans des dispensaires ou hôpitaux ruraux.
Cette habitude repose souvent sur un manque de formation actualisée ou sur des habitudes ancrées. En tant qu’herpétologue et encadrant sécurité d’expédition, j’ai été confronté à ces pratiques, parfois avec des conséquences graves pour les patients. C’est pourquoi il est essentiel d’informer, vulgariser, et former les équipes médicales comme les intervenants de terrain.
Conclusion
Les corticoïdes ne sont pas une réponse adaptée aux envenimations ophidiennes. Leur usage intempestif peut non seulement s’avérer inutile, mais aussi dangereux. En suivant les recommandations internationales et en se formant régulièrement, il est possible d’améliorer significativement la prise en charge des morsures de serpent, en particulier dans les contextes isolés.